(photo: CSN Québec)
Le 1er mai, fête des travailleuses et travailleurs. Avant de nous poser la question du « comment » souligner cet anniversaire de façon virtuelle, ou même de savoir si nous avons vraiment le cœur à la fête, la covid-19 nous oblige à réfléchir sur les conditions de travail que nous tolérons pour des travailleurs et travailleuses qui jouent un rôle important pour notre bien-être collectif.
La covid-19 qui ne s’embarrasse pas des frontières et des environnements humains de travail a chamboulé le vécu des soignants et soignantes et celui des patients. Le débat public concernant les impacts de la covid-19 sur la désorganisation du système de santé, particulièrement dans les CHSLD, et sur la qualité des soins a fait ressortir les inégalités flagrantes au sein de notre société en termes de pauvreté, d’accès aux soins, de reconnaissance collective des travailleuses et travailleurs et de justice sociale.
En ce sens, la covid-19 nous interpelle directement sur nos valeurs héritées de notre spiritualité judéo-chrétienne au sein de laquelle l’option pour les pauvres en constitue un élément génétique.
Cette semaine, M. Legault nous rappelait qu’il manque plus de 9000 personnes pour donner les soins dans les CHSLD, reconnaissant que les bas salaires des préposés aux bénéficiaires jouent un rôle important dans cet état de situation. Et nous savons tous et toutes que ce problème existe depuis des décennies.
Pourtant, dans la Bible, bien avant un certain Jésus de Nazareth qui rappelait il y a plus de 2000 ans que « l’ouvrier a droit à son salaire » (Lc 10; 7), les auteurs des livres du Lévitique et du Deutéronome interpellaient clairement les membres de la société juive :
- « Tu n’opprimeras pas ton prochain, tu ne le dépouilleras pas; le salaire de celui qui travaille pour toi ne restera pas chez toi jusqu’au lendemain ». (Lév. 19,13).
- "Tu ne feras pas de tort au pauvre qui travaille pour toi...Tu lui verseras son salaire le jour même, et le soleil ne se couchera pas sur ce que tu lui dois, car il l'attend avec impatience: il est pauvre." (Dt 24: 14-15)
Comment se fait-il que, collectivement, nous ayons laissé le soleil se coucher durant autant d’années sans remettre aux soignants et soignantes, et spécialement aux préposées et préposés aux bénéficiaires, ce qui leur est dû?
La question se pose aussi pour les travailleuses et travailleurs de l’alimentation et autres au salaire minimum dont on reconnaît l’importance particulièrement aujourd’hui pour nourrir la population et à qui on refuse un salaire minimum à 15$ de l’heure. Nous savons pourtant qu’un salaire juste s'avère un important facteur de rétention, de richesse collective et d'amélioration de la performance du travail individuel ou d'équipe.
Derrière la reconnaissance salariale se profile la reconnaissance de l’importance de chaque profession comme étant nécessaire et complémentaire dans l’organisation du travail et des soins. Le changement de couche, les bains, l’alimentation, lorsqu’ils sont prodigués avec attention et grand respect des personnes, sont aussi importants que l’acte médical pour le bien-être des personnes.
S’il est vrai qu’une telle reconnaissance passe par un droit de parole reconnu autour de la table où se prennent les décisions de planification et d’organisation du travail, il doit aussi s’exercer dans l’action, sur le terrain, lorsqu’on est « dans le jus », alors que les collègues se reconnaissent une compétence, une créativité et une complémentarité dans leurs domaines respectifs. « L’insensé juge droite sa propre voie, mais le sage écoute les conseils ». (Prov. 12, 15). Surtout quand ceux-ci viennent de la pratique sur le terrain.
À chaque point de presse, M. Legault a pris l’habitude de remercier des catégories de travailleuses et travailleurs qui nous aident à passer cette période de pandémie sans trop de dommages collatéraux. Et il a raison de le faire. Mais attention au recours à des termes angéliques qui nous feraient oublier que cette culture de la gratitude et de la reconnaissance doit s’incarner dans des politiques salariales et de bonnes conditions de travail.
Ce 1er mai constitue une occasion formidable de remercier, d'applaudir les efforts et de souligner le courage et la générosité dont font preuve nos collègues et leur ténacité en cette période difficile où ils risquent leur santé et celle de leurs proches.
Mais c’est aussi une occasion privilégiée pour exiger le respect des droits des aînés, ces ex-travailleuses et travailleurs en perte d’autonomie qui ont façonné la qualité de vie de la société qu’ils nous ont léguée en héritage.
Pierre Prud’homme
Président du Mouvement des travailleuses et travailleurs chrétiens de Montréal (MTC)
Gaétan Ouellet
Président du Mouvement des travailleuses et travailleurs chrétiens du Québec (MTC)